Et la volonté,
troisième pierre d'angle,
celle qui projette
vers les pays d'aventures
est, peut-être, la moins sûre !

Mais indispensable,
car sans elle la mémoire
resterait stérile,
et l'entendement n'aurait
qu'un horizon sans couleur.

La volonté seule
ne peut rien sans la mémoire
 que l'entendement 
 éclaire au feu des consciences
 quand les mots tissent leur sens.

Si l'entendement 
est la seconde puissance
de l'âme des mots,
c'est qu'il s'ouvre, lui aussi, 
sur la margelle du puits.

Mais comment savoir,
dans la confusion des langues,
s'il sera pérenne, 
devant la foule assemblée,
pour comprendre le mystère ?

Car, sans la durée, 
apprendre est une illusion,
 Changeante, éphémère.
 Ce n'est qu'à force d'usage
 que l'entendement s'affine.

Puissance première,
la mémoire nous distille
l'essence des mots.
Est-ce assez pour faire une âme ?
En quelle chair l'incarner ?

 A ces deux questions,
la réponse raisonnable
se veut sans partage :
l'âme des mots n'est pas nôtre,
la chair lui est étrangère.

Etrange breuvage
qui ne désaltère pas .
sa seule existence
nait au puits de la rencontre,
dans l'échange des regards.

Puissances des mots, 
sans qu'on sache où elles puisent
leurs secrètes forces !
Mais entendement, mémoire,
volonté, leurs pierres d'angle, 

fondent l'atelier
où sur les métiers se tissent
les brins d'émotions,
que la quenouille a filé
au coin de l'âtre enfumé.

Emotion qui fait
d'un borborygme imité
l'embryon du mythe,
 puis, venu au jour, symbole
d'une obscure réalité.
 

Comprendre les mots,
ensemble en saisir le sens,
les conduire là
où nous voudrions qu'ils aillent,
pour qu'ils chantent notre gloire.

Vaine prétention !
Les mots sont des êtres libres
qui tissent, entre eux, 
la langue qui les soumet
à la volonté du sens. 

Car témoins du sens,
le sens commun leur échappe.
 Mais compris par nous,
pourrons nous les libérer
 de leurs chaînes d'impuissances ?

Revenir aux mots
et, dans ce retour, tenter
d'en approcher l'âme,
pour comprendre les puissances
qui jaillissent de sa source.

Comprendre ce flux
qui surgit d'entre les pierres
et ruisselle aux lèvres,
à travers les herbes folles,
creuse ce lit de la langue

qui les réunit
pour leur donner sens et gloire,
ou les désunir.
Mystère absolu de l'eau
 qui féconde ou noie la vie.

Le violoncelliste
joue, les yeux à peine ouverts, 
dans l'atelier d'ombre
de son regard intérieur. 
Ses doigts aux cordes provoque
l'archet d' harmonie.

Qu'attends -tu en ton pinceau,
de cet éphémère
dont la robe s'effiloche
au vent de paroles 
que seul un instant, sans prix, 
recueille et traduit pour nous. 

Aux cadets de la France Libre.

Ils étaient tous jeunes 
et forts de leur inconscience,
pour oser franchir
le mur des renoncements, 
qu'édifiaient d'autres prudences,

devant leurs désirs 
brûlant, de vivre leur vie,
dans le champ des libertés,
au risque de la briser
sur l'horizon de leurs rêves.

Mais qui peut nous dire,
 après tant et tant d'années,
comment résister,
 aujourd'hui, demain peut-être,
 à la foudre du marché ?

Être en vérité
N'est pas donné. C'est le fruit
des regards croisés
que nous cueillerons ensemble, 
par tous les temps que Dieu fait.

Fruit d'incandescence,
qu'a-t-il à nous proposer ?
Doit- on le cueillir
sans craindre d'outrepasser
la loi de sollicitude ?

S'il tombait à terre,
qui pourrait le ramasser
sans qu'il soit souillé.
Mais qui d'autre que nous deux
saurait goûter sa tendresse.
 

Aucune illusion!
Ils tiennent toujours la barre
les fils des Ténèbres.
Mais leurs voiles dans le vent
faseyent sans grand profit.

Partis de Gorée,
jusqu'où faudra-t-il qu'ils aillent
avant que reviennent
la raison à l'équipage,
l'espoir à la cargaison ?

Jetés corps et biens
à la fortune des vents,
 pourrons nous survivre
 avant que de toucher terre
 à l'Eden de notre encan ?