L'estuaire étale
son indifférence morne
entre les deux rives.
Découvert puis recouvert
l'estran décompte le temps.

Allées et venues,
les lourds porte-containers 
glissent en silence
sur la toile des chantiers 
déroulée devant nos yeux.

Quelles sont ces ombres
qui hantent la haute mer,
aux midis plombés? 
Monstres surgis des abysses,
ou vol du vaisseau fantôme ?

L'opiniâtreté
des mouettes face au vent d'ouest
vigies de nos coeurs,
peut-elle nous exempter
des revenants de l'Histoire ? 

Qui te fait crier,
mon frère, en si grande peine?
Quelle est cette peur,
inscrite sur ton visage, 
qui fait écho dans nos coeurs ?...

Où trouver refuge
pour échapper aux vautours
qui croisent au ciel ?
Ne crois pas qu'il nous suffise
de crier pour vivre libre. 

La journée s'apaise.
Le geai achève son nid
dans la haie voisine. 
Respire un grand coup, mon frère !
Demain nous devrons nous battre ! 

"L'étang."
Eugène Guillevic
(Du domaine) 

Pourquoi ce silence,
à la surface de l'eau,
comme suspendu
à la pointe de ta plume,
au bord du gouffre des mots.

Est-ce le vent tu
dont l'absence fait problème,
ou les sentinelles,
arbres de ta confiance,
régisseur en ton domaine ?

Et si j'interroge
la présence de l'étang,
la nécessité
des grenouilles et des traces,
je sais : je ne suis pas d'ici ! 

Transmettre la vie
suffirait à mon bonheur.
Mais le puis-je encore,
quand je vois ces nuages noirs
dans le ciel de mon courtil.

N'en est-il plus temps,
ou  que faut-il espérer
d'un sursis précaire,
pour transmettre les outils
à qui saura s'en servir ?

Mais la clé des songes,
puis-je avouer l'avoir perdue,
sans craindre l'oiseau
qui s'obstine à cadastrer
les semis de ses glandées .

Les geais vont nicher.
L'audace du rouge-gorge
se montre insistante.
Le cerisier défleurit :
papillons dans le vent léger.

Paix sur les volcans !
Zébrant à nouveau le ciel,
les vols ont repris.
Les Grecs ! Comment les aider
sans les humilier ? Méfiance ! 

Commémoration ,
drapeaux, messe et couronnes
rappellent l'horreur.
 Faut-il que les Belges brûlent
les pavots de leurs tourments ? 

La nuit est opaque,
nulle lueur aux volets,
la chambre est bien close.
Et pourtant, devant les yeux,
les images farandolent,

de toutes couleurs,
au rythme des acouphènes.
Quelle ribambelle
se déploie, à perdre haleine
sur la lande de mes rêves,

caracole en boucles
jusqu'à l'horizon visible !
Qui me conduira
au de-là du cercle obscur
à la joie de la fest-deiz ? 

On nous montre à la télé un cyclone de feu
à la surface du soleil . Qui est responsable ?

Le soleil, les cendres
font-ils un si bon ménage ?...
Ne faut-il en craindre
 un soleil tombant en cendres,
des cendres incandescentes ?

Es-tu responsable,
volcan, au nom improbable,
de ce vent solaire,
ou lui qui t'a incité
à cracher tes vieux poumons ? 

Plutôt quelques trolls
cherchant à boucher les trous
de leur bas de laine !
Les traders de la City
sauront-ils les ravauder ?

Le minéral affleure
sur la lande de nos nuits.
Qui donc règne ici ?
Ces rudes pierres dressées,
pour répondre, ont-elles une âme ?

Gris sur gris dans l'aube,
elles cernent nos misères
et pansent nos plaies.
Faut-il y chercher la clé
de secrets si bien gardés ?

Où se contenter
d'une échappée, entrouverte
sur un si vieux rêve,
pour s'imaginer ouvrir
la cathédrale engloutie ?

Attendre!...Mais qui,
ou quoi, devant cette plage ?
Au matin blafard,
l'estuaire de la Loire
délivre sa vieille angoisse. 

Quel est ce mystère?...
Quand la foule devient peuple,
qui conduit le bal,
marque la cadence et chante,
pour offrir une âme au corps ?